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Résumé de la conférence de Philippe Réfabert, à la journée scientifiques du 5 octobre 2013
« Trauma et temporalité. Des mots et des choses avec Paul Celan. »
Qu’est-ce qui s’est passé?
Comment le signifier sans le réduire. Comment l’évoquer sans donner du sens à ce qui nie les fondements du sens. Et sans toutefois l’oublier.
Dans ses textes en prose et sa poésie Celan répond : en maintenant la tension de la question. L’irreprésentable, qui s’est passé mais n’est pas arrivé, ne saurait être représenté. Le représenter serait le classer, l’enterrer, en un mot le rejeter.
Celan, fort de la leçon que lui apporte la réception de son poème culte, Fugue de mort -bientôt lu comme signe de réconciliation à bon compte entre le peuple juif et le peuple allemand-, s’évertue à signifier la terreur, le sans fond de l’angoisse impensable, le souffle coupé. Il le fait par des procédés rhétoriques tels que des mots césurés, disloqués comme des membres peuvent l’être ; par des vers monosyllabiques, comme proférés dans « la salle des cris » où sont hurlées toutes les langues du monde.
[…] Wann, / wann blühen, wann, / wann blühen die, hühendiblüh, / huhediblu, ja sie, die September- / rosen ?
Hüh – on tue… Ja wann ? // Wann, wannwann, / Wahnwann, ja Wahn, – / Bruder, Geblendet, Bruder / Erloschen, du liest, / dies, hier, dies : Dis / parate – : Wann, / wann blühen, wann, / wann blühen die, hühendiblüh, / huhediblu, ja sie, die September- / rosen ? // Wann / blüht es, das Wann, / das Woher, das Wohin und was / und wer / sich aus – und an – und dahin – und zu sich lebt, den / Achsenton Tellus, […]
Den Ton, oh, / den Oh-Ton, ah, / das A und das O, / das Oh-diese-Galgen-schon-wieder, das Ah-es-gedeiht, // […]
Quand / quand fleurissent, quand, / quand fleurissent les, / flureurent, / furissent, mais oui, les roses / de septembre ? // Hue, – on tue-… Mais quand ? // Quand, quandquand / où, fou, oui fou – / frère / /aveuglé, frère / éteint, tu lis / ceci, oui, ici /dis- / parates
Quand / fleurit- il, le quand, / le d’où, le vers-où, et cela / et celui / qui vit à fond, à peine, à perte, à soi revit le / ton axial, Tellus, / […]
Le ton, oh, / le oh-ton, ah, / le a et le o, / le oh-encore-ces-gibets, le ah-comme-ça-pousse-bien, […] (trad. personnelle)
Le poème qui s’intitule Huhediblu, est écrit en septembre 62 au comble de la campagne de presse ignoble conduite par une ancienne amie-alliée qui l’accuse de plagiat et trouve à sa calomnie des relais auprès de journalistes et d’intellectuels complaisants. La réponse de ses meilleurs amis à cette campagne lui révèle leur incompréhension fondamentale et par là la solitude extrême du poète-témoin qu’il est.
Huhediblu est un des poèmes les plus violents qu’il ait écrit. Celan y conduit son lecteur dans la salle des cris, comme dit H. Michaux, où la lâcheté, la complaisance, l’ignorance et la bêtise ont conduit des humains à ne laisser de leur martyr qu’une cicatrice dans l’air. Il invite encore son lecteur à entendre Wannsee dans « wannwann » et lui dit que celui qui ne l’entend pas le rend fou : « Wahn ». Le mot en français « on tue » est une allusion au vers d’un poète russe : « On tue les poètes pour les citer après. »
Le dernier vers, écrit en français, : » Oh, quand refleuriront, oh roses, vos septembres ? » fait allusion à la fois aux événements irreprésentables qui ont eu lieu en septembre, comme la promulgation des lois raciales de Nuremberg en septembre 35 ou le massacre de 34000 Juifs en septembre 41 à Babij Jar, mais fait allusion aussi à la poésie lyrique comme celle de Verlaine : « Ah, quand refleuriront les roses de septembre ! », tenue par Celan pour incapable d’évoquer « Ce qui s’est passé ».
Accéder à » Ce qui s’est passé » et ses avatars ne peut avoir lieu que dans la retrouvaille en soi du « plus Étranger », le Toi laissé pour mort, en moi.
Le poème -aussi l’analyse-, surgit dans le retournement, dans l’échappée sur le Toi, depuis le bord de la faille entre un Je et un Toi, inabandonnable. À cette condition, le poème parle au nom de l’idiot, de l’englouti, de la bête, au nom du Plus-Étranger.
« Je parle, parlant de poèmes […] au nom du plus-étranger. / Le Plus étranger est en tant que l’inconnu, le simplement amical ; et dans le poème le plus proche, l’immédiat, en entrant dans le plus étranger, devient aussi l’absolument prochain (Allernächsten).
Le simplement amical se rapporte à mon sens au « Plus Étranger », anéanti, en Moi. Et l’échec de la psychothérapie de Celan est liée, à mon sens, au fait qu’il n’aura pas trouvé de thérapeute à même de se laisser enseigner par le patient-poète qu’il était. Qu’il n’aura pas rencontré de témoin pour le témoin.
Niemand / zeugt für den / Zeugen. (Personne [ne] témoigne pour le témoin.)
Claude Nachin et Philipe Réfabert le 5 octobre 2013
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Résumé de la conférence de Claude Nachin à la journée scientifique du 23 mars 2013
« Notes sur un long parcours dans le champ de la folie. »
Claude Nachin qui a abordé l’hôpital psychiatrique il y a 60 ans et a consacré sa première demi-carrière aux C.H.S., puis la deuxième à la pratique de la psychanalyse en privé, évoque d’abord dans les années 50, les difficultés des soignants devant les psychoses.
Durant son internat au Vinatier de 1954 à 1957, il a d’abord appris, auprès de Paul Broussolle, que la reconsidération patiente des problèmes de tous les malades, même les plus défavorisées, entraînait des conséquences positives tant pour certains cas particuliers que pour l’ambiance du service où un tel effort était entrepris. C’est l’aspect microsocial du travail du psychiatre que les psychanalystes intégristes devaient moquer en parlant du psychiatre « super-assistante sociale ». C’était pourtant un travail préalable à l’instauration de toute psychothérapie réglée. Le travail d’un psychothérapeute dans un service où il n’y a pas le minimum d’asepsie psychique est détruit par le personnel soignant et par les patients qui n’en bénéficient pas.
Interne de Paul Balvet, il a bénéficié du courant d’air frais qui avait d’abord soufflé sur l’hôpital de Saint Alban en Lozère dès l’Occupation grâce à ses efforts conjoints avec ceux de Bonnafé, de Tosquelles et de Chaurand. Avec Balvet, l’accent est mis sur la promotion de relations médecin-malade et médecin-infirmier, dégagées des excès de la hiérarchie verticale traditionnelle, qui apparaissent comme une exigence technique essentielle. Il s’agit de faciliter une connaissance précise de l’histoire des patients et de leurs relations actuelles avec leurs proches, entre eux et avec l’ensemble des soignants. Avant les thérapies familiales, ils favorisaient les visites et les échanges avec les familles. Il s’agit de permettre une action concertée de l’équipe soignante, de sorte que le programme thérapeutique ne se réduise pas aux moments limités de la rencontre médecin-malade mais s’étende à l’ensemble de la journée d’hospitalisation. Des réunions pavillonnaires soignants-soignés et des réunions spécialisées autour des activités s’étaient mises en place ainsi que des causeries culturelles.
L’étude et la pratique des psychothérapies antè-analytiques leur a rapidement montré leurs limites et les a ramenés vers la psychanalyse dont une partie d’entre eux avaient été éloignés par les positions du mouvement communiste. La psychothérapie d’éclaircissement alliant l’accueil du patient, la suggestion à l’état de veille et l’éducation moderne a eu des succès limités mais réels pour des difficultés sexuelles actuelles et des problèmes de contraception dans la ligne de la psychoprophylaxie des douleurs de l’accouchement par la méthode dite de « l’accouchement sans douleur ». Henri Vermorel a réalisé sa thèse sur cette méthode en la précédant d’une étude des psychothérapies antéanalytiques. En 1961, Tosquelles lui a signalé les travaux de Bion sur les petits groupes qui ont toujours inspiré sa pratique des groupes pavillonnaires ou d’ateliers. A la même époque, il a été initié au psychodrame morénien par P.Bour. Beaucoup plus tard, il a participé à un séminaire d’initiation au psychodrame et à la dynamique des groupes avec A. Ancelin-Schützenberger
Se dirigeant à tâtons vers la psychothérapie analytique des psychoses, il a retenu de Rosen l’appel à la conscience et à la responsabilité du malade le plus grave, sans être arrêté par un diagnostic et par les symptômes. De Sechehaye, il a gardé l’usage d’objets pour lesquels une patiente schizophrène avait manifesté de l’intérêt. Quand il a rencontré l’œuvre de Searles plus tard, il s’est aperçu qu’il avait eu tendance à travailler comme lui. Mais par la suite, à partir de 1980, il en est venu à la méthode des modelages de Pankow. En 78, il a rencontré Pankow autour des schizophrènes et Maria Torok autour de la problématique du deuil pathologique puis autour de l’ensemble de son œuvre avec Nicolas Abraham.
Lors d’une journée d’études consacrée à Giséla Pankow[1] il a eu l’occasion de faire le lien autour de leurs deux œuvres. Chez Pankow comme chez Nicolas Abraham, il y a une fécondation de la psychanalyse par la phénoménologie. Chez les deux auteurs, l’accent est mis sur la symbolisation, plus ou moins modifiée dans les névroses et brisée dans les psychoses. Chez nos trois auteurs, on se préoccupe de la place du patient par rapport à ses parents mais aussi de la place de ces derniers par rapport aux grands-parents. Le courant de recherches psychanalytiques sur les psychoses se rejoint ici avec les travaux de psychothérapie familiale systémique et analytique et avec les recherches sur les descendants des survivants de la Shoah.
Abordant la partie clinique de son exposé, C.N. va montrer l’expression de cryptes au sein du Moi dans un cas de mélancolie personnel et dans un cas de paranoïa publié par Serge Tisseron. Dans le premier cas, le deuil non fait d’une mère revient en force quand le patient atteint l’âge auquel sa mère était morte. Dans le second cas, le patient endeuillé ne peut élaborer le fantasme du père mourant se sentant endeuillé de son fils à cause de drames antérieurs dont le patient se sentait coupable. Certains de ces patients peuvent être transformés
Mais il connu des cas de collègues durement maltraitées par leurs parents et par les circonstances qui, même après de longues psychanalyses auprès d’excellents analystes, repartaient vers des interprétations paranoïaques dès qu’elles faisaient l’objet d’une nouvelle agression au cours de leur vie: l’agression et son caractère pénible étaient certains mais ils entraînaient aussitôt des réactions disproportionnées persécutives ou dépressives alternant avec des maladies physiques et parfois le recours à l’alcoolisme et aux toxicomanies.
C.Nachin déclare qu’il n’a guéri aucun des grands schizophrènes dont il s’est occupé pendant des années. Il se sent en bonne compagnie puisque Searles qu’il a interrogé lors de sa venue à Paris lui a dit la même chose tout en précisant que l’expérience acquise avec ces malades lui avait permis d’aborder mieux des patients moins difficiles, ce qui est aussi son cas.
Aucun malade, si gravement atteint soit-il, n’est insensible au fait que quelqu’un le voie régulièrement, le regarde, essaie de saisir son état d’âme (l’ouïsse, l’écoute avec discrétion, tente de le comprendre). Certains ne le supportent pas et s’enfuient du bureau où on les convie. Si on ne veut pas les abandonner, on est amené à les suivre dans le pavillon, à une distance raisonnable. Les troubles des images du corps et du monde sont tels qu’ils peuvent avoir le sentiment que la chaise que l’on déplace à 2 mètres d’eux leur rentre dans l’estomac comme Michaël Woodbury l’enseignait. D’autres ont le sentiment que vous voulez les dépouiller du peu qui leur reste par votre attention soutenue. A la proposition de modeler, un patient de Pankow répondait qu’il ne pouvait pas réaliser une forme, sinon il était perdu. Enfin, dans les circuits malheureux des soins psychiques dans notre société en crise, des psychosés plus lucides qui ont été abandonnés et trompés plusieurs fois peuvent se refuser à faire une nouvelle expérience avec un autre thérapeute. Il est donc fondamental de ne pas promettre aujourd’hui (explicitement ou implicitement) ce que l’on ne pourra pas tenir demain. Sinon, on rencontre la situation de ce malade évoqué par Diatkine qui disait depuis des années aux psychiatres qui l’entouraient: “vous n’êtes pas mon médecin”. Un jour, lors du psychodrame individuel de psychotique, Diatkine lui demanda de lui confier dans le tuyau de l’oreille qui était son médecin. Le patient lui dit que c’était Sven Follin. Ce dernier lui avait consacré tout un après-midi à l’admission de Sainte Anne, vingt-cinq ans plus tôt, et ne l’avait jamais revu depuis.
A Bailleul, il a tenté d’appliquer les idées de Séchehaye à une adolescente schizophrène qui s’est améliorée suffisamment pour sortir dans sa famille. Cette fille unique avait une relation trop proche avec son père que l’on qualifierait aujourd’hui d’incestuelle. Par la suite, ses parents l’ont gardée à la maison mais elle n’a pu accéder ni à une reprise d’études vers un métier, ni à une vie personnelle.
A Amiens, il s’est occupé pendant vingt ans d’un adolescent schizophrène hébéphréno-catatonique qui a fini par se suicider en permission en s’étouffant avec un gros morceau de viande crûe. Il lui a donné l’expérience des confusions sensorielles décrites par Bion. Un jour où il venait le voir après une cérémonie, ses boutons de manchette brillaient dans le soleil et le patient se plaignit que ses boutons émettaient du morse. Quand sa mère est morte, on a organisé les choses pour qu’il puisse aller à son enterrement. Comme René Diatkine l’enseignait, les grands psychosés sont incapables d’intégrer notre mortalité, ainsi le patient dit le lendemain: “ma mère n’était pas morte, je l’ai entendue remuer dans le cercueil”.
>Installé à Amiens, il a encore pris en charge en cabinet un jeune hébéphrène, dans la mesure où c’était un malade doux. Il était demi-mutique avec des propos limités et stéréotypés. Il a apporté plusieurs fois des modelages du monde minéral. Une fois , il accepte de le nommer “une pierre blanche”, “un morceau de planète” dit-il et quand C.N. essaie de la lui faire localiser, il répond: “perdue dans l’espace sidéral”. Ces grands malades ont une déficience de l’imaginaire et présentent un imaginaire impossible. Dans le cheminement de ces cas, il y a un lent mouvement du minéral vers le végétal, l’animal et enfin l’humain abordé directement, si on y parvient. L’élément essentiel acquis chez Pankow, c’est de pouvoir combiner mieux la contenance, que l’on dit communément maternelle (c’est la symbiose thérapeutique chez Searles), avec les interventions actives, voire chirurgicales, que la cure peut parfois nécessiter.
Un cas de psychose à base d’automatisme mental détaillé dans le livre de C.N., Les Fantômes de l’âme montre une jeune femme qui fait une bouffée délirante quand son désir sexuel est éveillé par un camarade d’étude. Deux éléments fondamentaux se dégageront et seront travaillés. Elle a été victime, fillette, des agissements sexuels d’un cousin adulte. Son père est l’aîné d’une famille de six enfants dont le chef est mort en déportation. Il avait toutefois une demi-sœur aînée, issue d’un premier mariage de sa mère, dont le premier mari était mort à la guerre de 1914-18. La fragilité du côté de son père n’était pas compensée du côté maternel: sa mère était la fille unique d’un homme, mobilisé à 18 ans la dernière année de la guerre de 14, qui avait été affecté comme nettoyeur de tranchées et n’avait jamais retrouvé sa joie de vivre
C’est une cure difficile. La patiente n’a pas terminé ses études, qu’elle a refusé d’abandonner pour entreprendre un métier moins difficile. Des occasions d’aborder une vie sexuelle et sentimentale ont échoué et cela a entraîné chaque fois un retour d’angoisses psychotiques et d’autres symptômes ainsi qu’une chute de sa capacité de travail. Le psychothérapeute doit être capable d’une infinie patience et il a grandement besoin d’être soutenu soit par la passion de la découverte comme Freud, soit par la passion de soigner comme Ferenczi ou par un mixte des deux.
Le travail psychanalytique sur un clivage du Moi lié à une séduction sexuelle et, surtout, la déconstruction du travail d’un Fantôme s’articule ici avec une relation particulièrement chaude entre une fille et un père porteur d’un deuil non fait.
Cette patiente m’a quitté après une dizaine d’années de travail pour se retirer auprès de sa mère tout en fréquentant les activités artistiques d’un hôpital de jour. Le caractère partiel de sa psychose et son amélioration se trouvent associés avec le fait que cette jeune femme a toujours gardé des relations avec quelques amies de sa prime jeunesse et, son père étant décédé, des relations convenables avec sa mère et ses deux frères. La gravité des événements vécus par la patiente et par sa famille à la génération précédente ne doit pas nous hypnotiser sur les faits. Notion capitale que F. Davoine et Maria soutiennent toutes deux : « Le trauma reste vide de sens tant qu’on l’envisage comme une série d’événements : dans un cas de Maria, « extermination des parents, placement précipité en famille d’accueil, éducation par une tante lointaine, étrangère. A évoquer ces événements, nous n’obtenons rien. Nous avons à étudier les vécus corporels et affectifs, les maladies, les situations professionnelles, les relations interpersonnelles et amoureuses liés jadis et aujourd’hui aux événements dits traumatiques ». « En tant que psychanalystes, nous ne traquons pas des événements, mais tout un univers humain ou inhumain concret qui en émane et qui se trame autour d’eux ». Maria se pose toujours la question : « pourquoi, comment et par qui un événement (que l’on peut qualifier de tragique ou non) a-t’il apporté la désolation, l’absurdité, la contradiction, un double bind, la hantise ou la mort dans l’âme et dans la vie d’une personne.
Claude Nachin
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Extraits de la conférence d’Elisabeth Darchis à la journée scientifique du 23 mars 2013
« Pérégrination des fantômes en périnatalité et psychoses puerpérales. »
La famille est, entre autre, le produit d’une séparation d’avec les générations précédentes. Les futurs parents doivent, dès la grossesse, réorganiser le groupe familial dans un travail de régression-déconstruction, puis de maturation-reconstruction, véritable moment de crise et de temps fort de la transmission : une véritable psychanalyse de l’enfance (PC. Racamier)…ou psychanalyse de la famille. Moment fécond, fondateur, le temps périnatal est aussi moment de danger, car cette période de brusque ouverture de l’inconscient qui convoque le matériel infantile et générationnel, tente de réveiller aussi ce qui était écarté par le sujet et la famille, ainsi que le matériel encrypté dans la chaine générationnelle. Les risques sont le déni, les dépressions massives et mélancoliques ou les décompensations sous forme de psychoses puerpérales dont le matériel délirant trahit souvent le travail du fantôme. Mais le temps périnatal est aussi un moment opérant pour la prévention, lorsque l’on peut déconstruire le fantôme dans les séances, ou même en amont, élaborer le secret pour prévenir une construction du fantôme.
La conférence s’est centrée sur le travail du fantôme et sa hantise en période périnatale. Comment être à l’écoute des « retours en après coup » qui affectent le fonctionnement psychique du parent et qui tentent de s’actualiser dans le lien mère bébé, et comment être à l’écoute des faits incorporés qui ont accompagnés l’enfance de ces sujets.
La période périnatale, moment d’ouverture, actualise des lacunes concernant des traumatiques anciens non élaborés, ou dévoile des secrets en rapport avec des scènes effroyables ou honteuses d’autrefois. C’est un moment propice pour repérer le potentiel « travail du fantôme » (Abraham, Torok, 1978) qui menacera d’aliéner les nouveaux liens familiaux dans la confusion des générations si la reprise du matériel générationnel n’est pas faite pendant la grossesse. Les effets d’un traumatisme ou d’un secret, peuvent habiter les parents à leur insu et encombrer de façon énigmatique leurs discours et leurs représentations en se révélant lors de trous dans le discours, de bizarreries, de réminiscences ou de cauchemars… Bien souvent le clivage empêche le travail de liaison entre les événements du passé et du présent. La prévention précoce aide à élaborer le contenu du secret et du traumatisme ancien qui pourrait faire hantise dans les générations à venir.
De nombreuses vignettes cliniques ont été citées lors de la conférence. En voici une :
« Une femme enceinte évoque sa peur d’allaiter : « cela ne va pas sortir… le bébé va pomper le lait et me faire mal… il faudra longuement masser, frotter, frictionner pour y arriver … » La patiente mine répétitivement le massage de ses seins dans un mouvement quasi masturbatoire. Le mot « éjaculer » est imprononçable, jusqu’à ce que je l’énonce quand elle met en mots pour la première fois, les abus sexuels de son enfance où un grand père l’invitait petite à danser nus tous les deux, sur de la musique, puis à se caresser. Ce mot, qu’elle se réapproprie en le répétant plusieurs fois « éjaculer… », était le centre de l’effroi concernant la masturbation extorquée à l’enfant par la séduction. « Pour moi le lait c’est du sperme »… réalise-t-elle à la séance suivante. Ce bébé redouté était celui qui imposait l’éjaculation du lait dans une confusion fantasmagorique. »
Chez cette femme se trouvait « un drame destinés au silence », et qui aurait pu « s’actualiser de façon déguisée » dans la topique de l’enfant à venir. L’énigmatique des « rimes animées en actes » (ici pomper, masser, frictionner… avec les mouvements de massage du sein qui miment une masturbation) seraient autant « d’effets de hantise » et de « cryptonymes » (Abraham, Torok, 1978) dans les générations à venir, ou autant de « témoins de la tension et de l’intensité du drame initial figé, muet» (Abraham et Torok, 1978) s’ils n’avaient pas pris sens pendant la grossesse.
Dans d’autres cas, des traumatismes peuvent resurgir sous forme de hantises dans des conduites obsessionnelles, tocs ou phobies d’impulsion dans les générations suivantes (peur de contaminer le bébé, de le lâcher, de lui porter des coups de couteau…)
Ces transmissions peuvent avoir une influence après plusieurs générations. Avec Nicolas Abraham et Maria Torok nous pourrions dire alors : « Le phénomène de hantise ou travail du fantôme… est bien l’invasion des éléments d’un drame non su… en celui qui le subit » (N. Abraham M. Torok, 1978). (1978) et que c’est la famille ancienne qui « offre des mots pour signaler la présence de la catastrophe onirique imminente, pour désigner la chose dont on doit avoir peur (mais pas tout à fait celle dont quelqu’un a eu peur autrefois) » (Abraham et Torok, 1978).
La famille ancienne offre aussi des gestes, des effrois : « Puissé-je avoir peur de la catastrophe extrême imminente et à laquelle la mère me réveille, pour garantir le non-retour de la catastrophe interne à laquelle la mère m’endort » (Abraham et Torok, 1978)
Dans l’incapacité de se différencier avec le passé, le parent fonctionne dans la confusion, dans ce qu’E. Darchis et G. Decherf ont nommé : la «parentalité confuse».
Dans la psychose puerpérale, le matériel brut, non symbolisé, peut émerger de façon délirante sous forme d’images étranges, terrorisantes, effroyables, sous forme de « solution générationnelle » qui intègre en après-coup dans le délire, ce matériel de la hantise non élaboré.
« Je suis sous influence, empoisonnée », « je ne sais plus qui je suis, et pire si je suis », « Ce bébé n’est pas le mien, on a échangé les bébés…», « Celui là est faux, le mien est encore dans mon ventre », «C’est un extra-terrestre, un être aux intentions monstrueuses. Il faut le tuer à sa naissance, avant qu’il n’extermine l’humanité ».
Le sujet ne reconnaît pas ce qui vient du plus profond de soi ou de la famille. Freud nous décrit ce matériel comme « une inquiétante étrangeté, variété particulière de l’effrayant qui remonte au depuis longtemps connu» au trop familier non-reconnu et qui est refoulé. Mais pour N. Abraham et M. Torok ce peuvent être aussi « un bizarre corps étranger » qu’il va falloir éjecter.
C’est souvent la famille ancienne qui dans le sujet poursuit une lutte contre le travail de liaison pour empêcher de se relier à la situation traumatique et pour ne pas déterrer le secret effroyable ou honteux de jadis. « Dans la répétition onirique de ce vœu, l’effroi maternel (ou familial) puise l’espoir que la publication de ses secrets n’aura pas lieu. Paradoxalement, la chose traumatique a déjà eu lieu » (Abraham et Torok, 1978).
Le déchiffrage est difficile. Comme le souligne JC Rouchy, ce sont « des traces ineffables, devenues impensables, de jouissances furtives, secrets de pulsions libidinales de l’enfance qui ne peuvent être révélées, non seulement parce qu’elles sont difficiles à dire dans leur intimité, mais aussi parce que si elles sont parlées, ramenées au jour, elles s’évanouissent et perdent leurs effets voluptueux ». L’effet fantôme peut provenir « de la honte inconsciente, de l’inavouable, du non-dit incorporé dans la psyché et transmis de générations en générations », nous dit C. Nachin (1995).
Le travail psychanalytique : Dans ces situations, l’indication d’une thérapie psychanalytique de couple ou de famille est pertinente car la groupalité favorise l’expression des fantômes qui peuvent être dénoncés, débusqués par l’autre. Le travail analytique doit repérer le fantôme ou la crypte qui surgit en périnatalité « de façon déguisée, fantasmagorique, de façon oulipienne » (Torok, Abraham, 1978). La capacité à se faire ventriloque, (Torok, Abraham, 1978 ou « l’écoute ventriloque » (E. Darchis 2011) de l’analyste, repère les faits ou mots bizarres qui semblent « un réveil d’autres horizons du mot devant mener à d’autres catastrophes, non nommables, ayant eu lieu dans d’autres vies, dans un au-delà de moi » (Abraham, Torok, 1978). Ainsi, l’on doit retrouver des mots et des paroles sur ce qui s’est organisé en caractères cryptés.
L’analyste ne décèle pas en général le fantôme immédiatement dans les familles et il se retrouve parfois immobilisé par la crainte de malmener ou détruire la famille s’il met des mots sur ce qu’il ressent. On pourrait dire aussi qu’il les entend vite crier ou hurler, mais il a du mal à traduire. Pour autant, il continue d’écouter le bébé interne du sujet ou les ancêtres parler autour du berceau, comme autrefois on écoutait les paroles des bonnes ou mauvaises fées, celles des mages et des parques qui annonçaient d’où venait l’enfant et prédisaient son avenir.
Même si les faits se dérobent au début, la façon de faire est de localiser d’où vient ce discours, nous dit M. Torok (1978): « De quel lieu viennent les éléments du discours ?». Chercher l’étranger des groupes d’origines qui se manifestent, pour qu’ils se révèlent. L’analyste doit faire aussi l’hypothèse d’un ou plusieurs fantômes, le couple étant souvent organisé autours d’une collusion des traumatismes et des secrets des familles réciproques, voire autour de ce que j’appelle la « collusion des fantômes de chaque famille » (E Darchis) ou « alliance des fantômes » selon C. Nachin (1995). ».
Le thérapeute psychanalytique est souvent submergé par ces bizarreries. Il peut éprouver une difficulté à métaphoriser, car il ne rencontre non pas des symboles traduisibles mais des énigmes, et « s’il entend le fantôme il ne peut pas le dénoncer de suite, car il lui faut établir d’abord la confiance », souligne Abraham et Torok. Dans le phénomène de hantise, il y a « horreur de briser le sceau du secret parental », soulignent Abraham et Torok (1978)
On décèle le fantôme, en inventant de nouvelles facultés, à se faire: « ventriloque avec des discours parallèles ou médium avec un discours par lequel le fantôme s’exprime ou spirite qui retrouve en dehors le fantôme (décorporation, matérialisation…) ou magicien pour concilier deux fantômes contradictoires » (Abraham et Torok)
Les « effets fantômes » sont souvent en lien avec des personnages envahissants venus des générations précédentes. L’activité fantomatique, nous dit C. Nachin (1995), vise, « à réincarner un objet d’amour perdu pour un parent qui est resté endeuillé
La sépulture ou la crypte abrite des faits souvent inconnus qui ont été incorporés sans pouvoir être introjecter. Souffrance et honte ont fermé la parole, emmuré le souvenir et c’est une sépulture dans l’autre qui en est le résultat dans la transmission générationnelle.
En thérapie familiale psychanalytique périnatale, le couple parental avec le bébé in utero, contenu par le cadre, constitue une groupalité favorisant la régression et la reprise de l’héritage psychique en souffrance de symbolisation. Cette prise en charge spécifique du groupe familial naissant est une prévention efficace dans cette période de crise familiale sensible au réaménagement.
La différenciation des générations, la symbolisation et l’élaboration permet de sortir des répétitions et des « hantises », de la confusion générationnelle et de la parentalité confuse. L’analyste de la famille avec son travail sur le T et CT étaye la famille dans ce temps fort de transmission qui va pouvoir ré-introjecter la contenance thérapeutique pour construire un nouveau mode de relation entre les membres des générations successives.
Elisabeth Darchis en 2013, avec Jean-Claude Rouchy
Conférence de Laura DETHIVILLE à la journée scientifique du 6 octobre 2012
« Winnicott : Un psychanalyste pour notre temps ? »
Résumé fait par Elisabeth Darchis et Saverio Tomasella ; relu par Laura Dethiville.
Dans sa conférence, Laura Dethiville souligne que l’œuvre de Winnicott a été aimée, assimilée, digérée, puis parfois rejetée. Elle rappelle dans son livre : « Donald W. Winnicott, une nouvelle approche » (2008), la manière dont les écoles de psychanalyse, se sont emparées de Winnicott. Lacan dans son séminaire de 1956 « La relation d’objet » fait l’éloge de l’article « objets transitionnels et phénomènes transitionnels ». Ce texte sera traduit ensuite par Victor Smirnoff et Robert Lefort et il y aura un véritable engouement à l’Ecole Freudienne de Paris pour ce concept.
Lacan a pu dire que Winnicott était un des psychanalystes anglo-saxons qu’il appréciait le plus, et qu’il avait trouvé son «objet a» dans l’objet transitionnel, mais précisons que l’objet a n’est pas l’objet transitionnel.
Quand la Société de Psychanalyse Freudienne à été fondée, un enseignement sur Winnicott a été introduit, enseignement qu’elle anime depuis.
Mais la traduction des concepts de Winnicott n’a souvent pas été correcte et précise, ce qui a nourri un trouble. Les difficultés de traduction d’une langue aussi particulière que celle de Winnicott ont été à l’origine d’un certain nombre de « mécompréhensions » à propos de son œuvre.
La reprise de plusieurs concepts par Laura Dethiville (Vice Présidente de la SPF) permet un nouvel éclairage sur une pensée winnicottienne plus que jamais actuelle.
- A propos de la « mère suffisamment bonne », traduction de l’expression «good enough mother», on pourrait plutôt dire «passable», c’est-à-dire «la mère juste bien» ou «bien sans plus». (Déjà J. McDougall avait revisité en France ce terme en ce sens : une « mère adéquate sans plus », in Le Théâtre du Je et Le Théâtre du corps). La mère sans plus est celle qui permet la maturation nécessaire, sans l’empêcher.
- Concernant « Ruthlessness » traduit de manière erronée par cruel et impitoyable.
« Ruthlessness » signifie « sans merci » et concerne le nourrisson, parce que l’autre n’existe pas encore pour lui, alors que « cruel» concerne toujours une position de l’adulte. Quand l’enfant attaque ou fait du mal, il n’est pas cruel. Il ne sait pas qu’il attaque ; c’est la mère qui ressent l’attaque et qui projette sa propre cruauté. Pour le bébé, il n’y a pas de relation d’objet, pas de travail autour du pulsionnel, car pas encore de psychisation.
Autre exemple, le terme de « doldrums areas », eaux encalminées.
Sa traduction, par ailleurs fort juste, par « pot au noir », évoque souvent une idée de dépression, ce qui n’est pas le cas. Il s’agit de ce moment où le bateau est immobilisé, où il n’y a plus de vent. C’est le lieu de l’immobilité quand il n’y a plus de vent ; et l’on ne sait pas s’il va revenir et de quel côté. Il y a une poussée de haut en bas, et de bas en haut. C’est différent de la dépression et du cafard. Si on fait un parallèle avec la cure, c’est un moment où s’immobilise le travail. Ainsi l’enfant qui cesse de dessiner pourra repartir ensuite. C’est un moment d’hésitation et la confiance permet de redémarrer.
- « Need » a été traduit par « besoin », mais c’est plutôt « les nécessités » qu’il faut entendre comme aller à la rencontre de ce qui est nécessités.
- « To want » est traduit par « vouloir », mais c’est surtout « manquer » : « I want = je manque de ». Il ne s’agit pas de satisfaire les besoins, mais plutôt rencontrer ce qui est nécessité.
- « Me » traduit d’abord par « moi ». A la fin de sa vie, Winnicott propose le « I » qui est « le Je sujet ». Il faut dire que D. Winnicott n’était pas toujours précis lui-même et il était capable d’inventer des concepts. Ex. « L’objet transitionnel » ou encore « la capacité d’être seul ». Il préférait ajouter une petite nuance ou un coup de pinceau à un mot déjà existant. Mais on risque ainsi des contre-sens. Exemple « Self et faux-self ».
- Le regard de la mère comme miroir, c’est l’idée de Lacan qu’il a enrichie.
- Comme Mélanie Klein, qui a été amenée à travailler et à penser sur les premiers temps de la vie d’un individu, il a affirmé : « Ce sont les patients frontaliers, borderlines, qui m’ont tout appris. » Ces patients adultes l’ont amené à travailler sur les premiers liens de la vie. Tout se joue dans les premiers temps et vient aussi des traumatismes (empiètements) de l’environnement. Il a vu environ 60 000 personnes, dont beaucoup de patients traumatisés par la guerre.
- Il étudie les distorsions premières qui marquent le psychisme d’un individu et en conclut qu’il existe un « self » à l’intérieur de l’individu (l’incommunicabilité). Ce self doit rester caché, inviolable et il s’exprime par des activités créatrices : ce qui permet de rendre la vie vivante. Dans les Consultations Thérapeutiques, Winnicott utilisait des « squiggles » pour entrer en communication avec l’enfant. Mais ce n’est pas le squiggle qui est important. C’est ce qu’est le psychanalyste qui est important et non ce qu’il fait avec l’enfant.
- Pour Winnicott tout est remobilisable jusqu’à la mort. Si le développement se bloque par un accident de vie, le bébé ou l’enfant attend de reprendre ce qui a été interrompu (ce qui a été gelé : « freeze »…) N’importe quel être humain attend ce moment où un psychanalyste prêt à l’accueillir dans la régression. Cela peut concerner un moment donné à l’intérieur d’une séance. Les positions du psychanalyste sont différentes selon ce qu’est le patient à ce moment-là. Il est nécessaire de repérer qui est alors le psychanalyste, qui il représente pour le patient. Et que revit l’analysant, quel âge à le patient à ce moment-là et quelles nécessités se manifestent alors.
- Winnicott est révolutionnaire. Reste qu’il faut se méfier de sa théorisation des premiers temps car son vocabulaire a beaucoup changé avec le temps et il a travaillé jusqu’à la fin à affiner sa pensée.
- Chez Winnicott, il y a du père, de la sexualité infantile, du symbolique. L’objet transitionnel est un chemin vers le symbolique, vers l’œdipe, une condition nécessaire mais non suffisante pour l’émergence du sujet. C’est un processus entre lieu et créativité, un mouvement vers… et non pas une structure. C’est «ce qui est joué» et pas «le jouer». C’est l’allant devenant d’un humain en train de se faire (cf. Dolto).
Dans Jeu et réalité, « jeu » désigne l’activité du « jouer », qui pourrait être traduite par « jouance » ? L’important est « le jouant ». « Où prend corps le sentiment d’exister et d’être réel, qui fait cruellement défaut à tant de nos patients », demande Winnicott. Il met en évidence la différence entre exister et être. Il dit : « Nous sommes bien pauvres si nous ne sommes seulement bien portants. »
- Pour Winnicott, la cure n’est pas une relecture du passé mais une nouvelle expérience qui se vit à deux », une construction à deux, une co-construction, une création à deux dans « l’ici et maintenant » de la séance et la recherche de l’altérité dans la transitionalité en rapport à l’autre. Le sujet est dans une émergence, aller chercher l’inconnu de soi et donc de la relation à l’autre.
- Il y a aussi un lien de pensée entre D. Winnicott et S. Ferenczi, un lien d’amitié entre D. Winnicott et M. Balint. (« Ruthlessness » est présent aussi chez Balint). Il y a un point de jonction.
- « Relation d’objet » : l’expression est gênante car il s’agit plutôt d’une relation à un autre sujet. L’enfant est dans un état de dépendance, mais il n’est pas passif, il est actif. Il modifie quelque chose de lui-même et l’environnement lui renvoie le reflet de cette « modification ». S’il n’y a plus d’interrelations, il n’y a plus « d’accordage » et, au bout d’un certain temps, l’enfant entre dans une détresse incroyable. Il vient au monde avec des potentialités et l’entourage lui permet d’évoluer, en lui renvoyant ce dont il a besoin.
- Les travaux des américains (cf. Tronick, Brazelton…) sur l’interaction du nouveau-né confirment que le bébé ne naît pas passif. Il est de suite actif sur son monde. Il se modifie tout autant qu’il modifie son environnement. L’environnement soutient les potentialités du développement et doit renvoyer au bébé sa propre modification (exemple de l’expérience de « Still face » et de la détresse intolérable du bébé) avec le regard de la mère comme miroir, le miroir étant un autre sujet. L’environnement humanise le bébé à son arrivée dans le monde. C’est la transformation d’un vécu corporel. W. R. BION a parlé de « rêverie maternelle » qui intervient dès les premières tétées. Le sens va venir à partir de la réponse, dans la préoccupation maternelle primaire. Exemple de la tension et de l’agitation motrice qui au départ n’ont pas de valeur d’appel ; l’humain apporte une réponse pour diminuer la tension et c’est la réponse qui donne sens. Idem pour les premières tétées : avec le lait chaud qui coule dans le corps, c’est la réponse qui donne le sens de nourriture et de comblement.
Après l’exposé de Laura Dethiville, s’engage un débat sur plusieurs thèmes. Le compte-rendu ne donnera pas la richesse des échanges qui ont eu lieu, mais citons-en quelques points :
- Les archives Winnicottiennes avec le travail de Jan Abram et les rééditions de l’œuvre de Winnicott en cours.
- La conception de la cure et l’idée de co-création mise en évidence dans « Construction de l’espace analytique » de Serge Widerman : la cure est une nouvelle espérance de vie. Les « bouts de souvenirs » dont parle Freud ne sont pas des rêves.
- Le monde apporté à l’enfant par son environnement avec ce qui est de l’inconscient de l’entourage. L’identification avant le choix d’objet.
- Les noyaux psychotiques qui existent en chacun: on vivra des épisodes psychotiques au cours de sa psychanalyse.
- La crainte de l’effondrement et la détresse originaire ; Winnicott fait un lien avec le « holding, handling et object presenting ». Le patient peut intégrer l’effondrement dans sa vie, et guérir. « On n’aura de cesse d’aller toucher le fond, pour s’en sortir » : voir ces bébés qui ont été en contact avec une dépression de la mère et qui se sont auto-guéris ; mais cela peut « craquer » plusieurs années après. Ils se mettent dans une situation contenante pour pouvoir régresser à loisir.
- Dans les maladies graves : pas le temps de régresser au départ ; des agonies primitives. Se remettre dans la situation de dépendance pour s’en sortir. Paradoxalité.
- La période d’omnipotence est nécessaire pour l’enfant. Le « créé / trouvé » : l’illusion n’est pas l’hallucination. La mère « passable » laisse cet espace d’illusion, tout en introduisant des petits moments de défaillance. Elle permet la désadaptation graduelle. L’objet n’est pas toujours là. Il faut que cela rate pour fabriquer de l’autre. Bion dit la préconception. Il en va aussi de la survie du psychanalyste qui résiste à la destructivité du patient. Il est nécessaire que le psychanalyste défaille à la fin pour que le patient se délivre de la dépendance. La réalité de l’objet est créée par la destruction de l’objet et sa survie. L’objet qui survit est utilisé pour la symbolisation.
- A l’origine l’être est double, touchant-touché. Relation sans objet qui correspond à « l’unité duelle » (I. Hermann, puis N. Abraham et M. Torok) et à l’environnement primaire du bébé. L’enfant a l’impression d’être actif dans la satisfaction. Mais pas encore de moi : juste des noyaux de moi. Le bébé expérimente aussi l’inactivité vigile à plusieurs moments de la journée. La mère rassemble et construit le moi du bébé avec la peau qui fait le dedans et le dehors, avec l’enveloppe sonore, l’espace transitionnel…
- Débat autour de la pulsion, entre la théorie des pulsions et la théorie de la relation d’objet.
Bibliographie :
Dethiville, L.
- D. W. Winnicott, une nouvelle approche, Paris, Campagne première.
- 2005. De l’âge de la raison à l’adolescence ; quelles turbulences à découvrir ?, Enfant et parentalité, Toulouse, ERES.
Laura DETHIVILLE et Claude NACHIN
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Conférence d’Olivier DOUVILLE à la journée scientifique du 6 octobre 2012
« Trouvailles et impasses de la ritualité adolescente »
Résumé fait par Edith Schwalberg, Saverio Tomasella et Frédéric Tordo.
Nous remercions Olivier Douville pour l’attention qu’il a porté à la relecture de ce résumé.
Olivier Douville croise un point de vue anthropologique et un point de vue psychanalytique dans son travail sur les adolescents en errance. Son livre « L’adolescence errante. Variations sur les non-lieux de nos modernités » a reçu le Prix Œdipe 2008. Sa réflexion sur les incidences psychiques des ruptures du lien social se poursuit, en compagnie de quelques autres praticiens et chercheurs1 dans le livre collectif qu’il a dirigé, Clinique psychanalytique de l’exclusion, paru chez Dunod, en 2012.
Lors de cette intervention du 6 octobre 2012, Olivier Douville confronte la thématique du rituel avec celle de l’adolescence. Il choisit le rituel par excellence, celui de l’initiation, et le croise avec la réalité du sujet embarrassé par le corps qu’il est, en attente de pouvoir faire usage du corps qu’il a. Le « passage adolescent » est à situer au regard des «rites de passage» qui scandent les âges de la vie et leur confèrent une symbolique sociale (naissance, puberté, âge adulte et mariage, mort), possédant tous une structure ternaire qui associe une phase de sortie de l’état antérieur, une phase d’issue et d’accès à un statut nouveau : « Sans rituel point de symbolisation du passage » (Voir l’article d’Olivier Douville dans Adolescence, 2010, n°74). La temporalité adolescente serait bien marquée par un impossible retour à la case départ de l’ « enfance » (soit des jouissances pulsionnelles infantiles) tout en restant lourde d’incertitude par rapport à l’issue des crises traversées. Une répétition sans précédent, telle serait la formule non du rite mais de l’expérience rituelle dès qu’elle est vécue de l’intérieur. Peut-on alors prétendre que ce « sans précédent » du rite est bien, selon Olivier Douville, ce que le jeune recherche. L’adolescent, pour supporter le corps qu’il a, le met à distance dans le rituel. On ne peut que reconnaître le fait que l’adolescent a des habitudes qui lui sont chères. Il a un sens aigu du territoire (regardez sa chambre !), de son «clan» ou de sa « tribu », de son univers esthétique. Et tout comme nous, il a besoin de tels repères. Il a besoin que sur ce plan du rapport au corps, au semblable, au langage, au temps et à l’espace les choses ne bougent pas trop, pas trop vite. Bien campé dans cette ritualisation de son existence, il n’a pas son pareil pour passer nos demandes d’adulte au peigne fin. On dirait qu’avec toute la majesté d’un grand seigneur latent, il campe dans la forteresse de ses habitudes où seuls sont bienvenus les défilés immuables de ses fréquentations. Il serait pour autant réducteur et même faux selon Olivier Douville de penser le rituel adolescent en ne prenant en compte que son aspect conservateur, comme un protocole posé hors du temps. Ce serait oublier que l’adolescent sans doute rassuré par l’aspect impérieux et rigide de ses habitudes, doit aussi ressentir, éprouver et penser ce qui est pour lui, à cet âge, une rencontre avec un réel « sans précédent », soit essentiellement l’intrusion de la sexualité génitale qui ne fait pas, loin s’en faut, que récapituler les satisfactions érotiques et les théories sexuelles de l’enfance.
Se pose alors selon Olivier Douville une « question simple » : qu’est-ce qui, à l’adolescence, aujourd’hui insisterait comme une exigence de ritualisation ? Telle est la question à la fois clinique et anthropologique posée en distinguant :
- d’une part ritualisation et répétition. La ritualisation si elle suppose une répétition n’en est pas pour autant superposable à ce qu’aurait d’automatique la compulsion de répétition.
- d’autre part, d’affirmer que le rite engage le corps d’une double façon : soit les modes par lesquels le corps physique et psychique est présenté au monde et se présente au monde.
Beaucoup de traits cliniques : retrait psychique, apathie, errance indiquent que de nombreux adolescents se situent dans un travail de négativité qui vise à vider de leur sens les identifications à l’enfant qui étaient les leurs et dans lesquelles, trop souvent, « ils se sentent confinés par la sottise ambiante » (Olivier Douville, 2010). Il est alors possible de considérer un parallèle entre ces retraits et les phases de mise à l’écart propres au premier temps (sortie et coupure d’avec le familier) des rituels de passage.
Quels rites et quels rituels ?
- Il y a les rites de naissance : le rituel de naissance interroge l’enfant.
- « Le refoulement originaire » : « Comment fabrique-t-on de l’enfant ? » « Est-ce-que c’est un grand parent ? » Le rituel de naissance apaise l’ancêtre, il sépare l’enfant « sauvage », porte parole des morts qui reviennent, de l’enfant façonnable par l’éducation et la culture.
- « Pourquoi enterre-t-on le placenta chez les Africaines ? » Pour accueillir l’enfant dans un monde humain, soit celui qui a inventé l’institution de La sépulture
- Le rituel de mort rassure et fabrique un voile entre le cadavre et le mort, celui de naissance, entre le fœtus et l’enfant.
- Les rituels sont observés de l’intérieur comme dans le livre de Robert Jaulin : La mort Sara qui est une immersion passionnante dans la culture des populations Sara, qui peuplent l’extrême sud de la république du Tchad, c’est-à-dire les préfectures du Logone occidental, du Logone oriental et du Moyen-Chari.
De quelle différence se soutient le mythe et le rite ?
Le mythe expose un ensemble de contradictions majeures, dont celle qui oppose le mort et le vif : les contraintes formelles auxquelles sont assujetties les formes apparemment les plus libres de la pensée mythologique sont, en fait, un tissage logique de processus et les stratégies qui permettent aux humains et aux sociétés de se situer à bonne distance les uns des autres, qui ont fonction de travailler à contrer l’indifférencié qui tente de détruire. Olivier Douville rappelle ici sa dette à la pensée de Claude Lévi-Strauss.
Qu’est-ce qu’alors le rituel selon Olivier Douville ? Quoi de commun entre l’action de sacrifier à ses petites manies, ses «rituels », et la résonance sacrée, séduisante et terrifiante, pleine de mystère en tout cas qui s’exprime dans les ritualités « païennes » et sacrificielles ? Dès lors que nous définissons le rite comme une succession ordonnée de gestes, une manière qui nous semble immuable de se présenter au monde et de le célébrer, nous sentons bien que l’ordre du rite dépasse de loin les dimensions plus ordinaires de l’habitude ou des petites manies de la vie quotidienne. Le terme de rite, nous dit l’auteur, appartient d’abord et de plein droit à la science qui se penche sur les coutumes et les croyances des sociétés lointaines et qui tente, en évitant au plus possible les préjugés ethnocentrés, d’en percevoir, puis d’en décrire leur logique. Il existe un lien, à l’évidence très serré, entre mythe et rite. Les grands mythes se racontent ou plus exactement se mettent en scène lors des rites, un peu lorsque au Moyen Âge on jouait devant le porche des cathédrales les grands Mystères. Célébrer traditionnellement un mythe est le rappeler au corps social par le rite. Les participants s’inscrivent dans un ordre de pratiques sociales régulées qui donnent à chacun une appartenance, une affiliation. C’est ainsi, dans le monde traditionnel le rite vient donner au mythe sa consistance, il célèbre une pratique sociale du mythe qui fait valoir sa puissance énigmatique. Cela signifie que la vie concrète du mythe se déplie dans des faits sociaux larges qui impliquent presque toujours la reconnaissance et la célébration d’un passage ou d’un changement d’état d’un sujet ou d’un groupe de sujets. Le rite fait intercéder les ancêtres, les esprits, le divin ou l’occulte. Le mythe est ce qui met en récit la scénographie souvent violente ou éprouvante du rite. La liaison du mythe et du rite s’effectue à des moments éminents et sacrés où l’humain doit être réaffirmé non seulement dans son existence concrète mais plus encore dans sa vie spirituelle et son lien avec les ancêtres, souvent divinisés, nous dit encore Olivier Douville. Lier le mythe d’origine et le rite est un acte social nécessaire car il donne volume et sens aux grandes festivités accompagnant des naissances, des initiations, des alliances, des funérailles. Ce lien reconnaît et célèbre un passage. Et c’est devenu une habitude de parler de « rite de passage » pour indiquer toute mise en scène qui confère un petit cachet cérémonial aux changements de lieux et d’états. Aussi, dans les mondes traditionnels on accomplit des rites de passage, purification, jeûne pour préparer certaines personnes à s’aventurer dans des territoires non communautaires, territoires que sont, le plus souvent, les territoires de chasse ou les territoires de guerre. De suite un paradoxe surgit selon Olivier Douville : le rite accompagne tout changement, il l’escorte, le signifie, le souligne, mais il le fait d’une façon toute précise et toute particulière en vantant la temporalité d’un éternel retour. Le changement d’état s’inscrit dans un cycle équilibré de transformations qui n’entraînent ni le sujet, ni le social vers un trop grand déséquilibre (se reporter pour compléments, Olivier Douville, 2010).
Extraits de discussion
Frédéric Tordo : « A propos de votre pensée du rite, je souhaiterai évoquer celle de Nicolas Abraham, quand, partant de la dramatisation de la perte dans le jeu du fort-da chez l’enfant, il aboutit à la dramatisation du rite. La dramatisation est une « Répétition symbolique en actes (et non en reviviscence affective ni en description verbale) d’un traumatisme subi. Le jeu du fort-da est une dramatisation symbolique, répétant en actes, la disparition et le retour de la mère. Le symbole proprement dit est ici la ficelle de la bobine, virtualisant présence et absence à la fois. Ce qui permet l’introduction du symbole dans la situation traumatique, et par conséquent la dramatisation, c’est le fait que le sujet y figure comme dédoublé : il est à la fois lui-même et se voyant de l’extérieur. Autrement dit, la dramatisation implique un tiers observateur du traumatisme, et auquel, pour partie, le sujet s’identifie. Le symbolisme est inventé au nom de ce tiers » (Préface de Nicolas Abraham de l’Instinct filial d’Imre Hermann, p.358 de L’Ecorce et le Noyau). Nicolas Abraham marque aussi l’importance de la présence du Tiers social dans la dramatisation rituelle, à savoir la communauté (cultique) et cette répétition symbolique justement n’est concevable qu’à l’intérieur d’une communauté où chacun joue le double rôle de substitut de l’objet perdu et de témoin de la scène symbolique de la perte. D’autre part, si l’on reprend la définition de Van Gennep, le rite de passage s’emploie à séparer des individus d’un statut pour les agréger à un autre. Se pose alors la question du statut de l’expérience rituelle par rapport à la perte. Que se passe-t-il dans ce no-man’s land entre séparation et agrégation ? »
Olivier Douville : « La perte renvoie à la dépressivité de l’adolescent. Du point de vue psychanalytique, l’adolescent accède à cette expérience du manque, du vide. Le sujet est connecté à cette opposition entre le mort et le vivant, dans une position de jouissance. Ce qui rend l’adolescent fragile, morose à cause de cette interrogation. Il éprouve l’incomplétude de sa différenciation sexuelle par l’universel, c’est-à-dire un certain rapport que nous entretenons avec ce qui définit l’humanité de l’humain ».
Edith Schwalberg : Par rapport à la théorie de Nicolas Abraham, Edith Schwalberg se demande si on ne pourrait pas penser le rite comme une sortie de l’Unité Duelle mère-enfant, par la symbolisation qui requiert la présence du Tiers. (On peut se reporter au chapitre 2 de l’article de Stéphane Bollaert et d’Edith Schwalberg dans le Coq-Héron 2006 n° 186 : intitulé » Construction et déconstruction du fantôme », où l’auteur repère le passage chez l’enfant d’un mort incorporé dans le parent, incorporation qui n’a pu laisser place à une introjection faute de parole, et de symbolisation). Edith Schwalberg complètera aussi la réflexion sur la question de savoir comment se retrouve l’imago du « mort-ancêtre » dans notre civilisation.
Note (1) Dont Michèle Benhaïm, Claude Boukobza, Marie Cousein, Virgine Degorge, Marie-Claude Fourment, Jean-Paul Mouras et Sylvie Zucca.
Pour approfondir :
Douville O. & Collectif, 2012. Clinique psychanalytique de l’exclusion, Paris, Dunod.
Douville O., 2009. Chronologie de la psychanalyse du temps de Freud (1856-1939), Paris, Dunod.
Douville O., 2008. De l’adolescente errante. Variations sur les non-lieux de nos modernités, Nantes, Editions Plein Feux, distribution PUF.
Edith Schwalberg, Olivier Douville, Frédéric Tordo